A.Aleya

A.Aleya

Doutes sur les remparts

« Et qu’est-ce qu’un homme? C’est quelqu’un qui se relève quand la vie l’a flanqué par terre. (…) Un homme n’est jamais complètement brisé par les méchants coups du sort.

Peut-être que cet homme ne sera jamais un vainqueur. Mais quand il se voit dans un miroir, il peut être fier de ce qu’il voit. (…)

Et qu’est-ce que la mort? La fin des ennuis. La fin de la lutte et de la peur.

J’ai combattu dans bien des batailles. J’ai vu beaucoup d’hommes périr. Des femmes, aussi. Dans l’ensemble, ils sont tous morts dignement.

Souvenez-vous en lorsque vous déciderez de votre avenir. »

« Il était furieux parce que son discours était un mensonge, et c’était un homme qui aimait la vérité. Il savait bien que la vie pouvait briser les hommes.(…) Chaque homme avait son point de rupture, peu importait la force de son esprit. Quelque part, au plus profond de lui, il y avait une faiblesse que seul le destin, par un affreux caprice, pouvait trouver. Au bout du compte, la force d’un homme naissait de la connaissance de sa propre faiblesse. »

 

David Gemmell - Légende.

 

 

 

 

Hector était né pour être un héros. Le successeur des grands rois de Troie.

L’héritier digne des légendaires Ilos, fondateur de la ville, Laodémon et Priam. Son père, Priam, le roi actuel.

Hector n’avait pas eu le choix.

Il était destiné à devenir un guerrier, un chef. Un futur roi.

Il devait montrer l’exemple, lui, l’éleveur de chevaux. Le dresseur des meilleurs destriers de la contrée.

Parfois, ses frères l’enviaient. Mais que pouvaient-ils donc désirer de plus? Ils étaient tous des princes. Ils étaient riches. Ils avaient reçu la meilleure éducation et auraient les plus belles épouses de la région.

Voulaient-ils prendre la place d’Hector?

Penché sur les remparts de la haute tour d’Ilion, Hector eut un geste d’humeur qui ne lui ressemblait pas.

- Qu’ils prennent donc ma place! A eux, les responsabilités! A eux, la négociation avec les peuples de l’Est, la diplomatie incertaine et les manœuvres hypocrites envers les Achéens, ces gens de Mycènes qui cachent à peine leur désir de conquérir nos terres! Je m’en débarrasse, je leur laisse avec joie! Et ma future épouse que je ne connais pas en même temps!

- Et bien, mon frère, voici que tu parles tout seul, à présent? - Une jeune fille, le voile rabattu sur ses cheveux bruns s’avançait sur le chemin de ronde - On va penser que tu perds la tête. Je t’en voudrais de me faire de la concurrence!

Le grand homme brun, à la carrure impressionnante eut un sourire très doux.

- Voyons, Cassandre, qui s’est encore moqué de toi? Dis-le-moi, ma sœur, j’irais punir l’imbécile…

Hector avait toujours été indulgent envers cette jeune sœur qui, disait-on, annonçait des malheurs imaginaires. Il savait qu’elle souffrait d’un mal invisible. D’aucuns affirmaient qu’elle avait reçu le Don de prophétie de la part d’Apollon, mais qu’elle avait refusé d’être séduite par lui. Et ainsi, tous les propos de Cassandre semblaient devenir des mensonges dans sa bouche. Beaucoup se détournaient d’elle. Même sa propre mère, Hécube, l’envoyait loin d’elle. Elle préférait la savoir au temple, à servir le dieu, en attendant que son mari, Priam, lui trouve un époux digne de la princesse qu’elle était.

Déjà, deux prétendants Othryonée, le thrace, et Coroebos, le fils de Migdon, s’étaient présentés au roi.

Cassandre avait l’âge d’être mariée; son futur mari ne devait surtout pas la voir lorsqu’elle était prise par ses crises. Il aurait pensé qu’elle était folle, ou atteinte d’un terrible mal.

- En attendant de châtier ceux qui me traient de folle, me diras-tu pourquoi tu arpentes les remparts en marmonnant ainsi, mon frère?

Hector se sentit confus. Il savait mal ouvrir son cœur.

- Et bien …j’inspecte nos défenses. C’est mon rôle.

Cassandre se mit à rire, de ce rire en cascade, clair et léger.

- As-tu peur d’une invasion? Nous sommes en paix avec le peuple hittite. Au nord, notre cousin Enée veille. Ou bien …crois-tu qu’ « ils » viendraient de la mer?

Le ton de sa sœur s’était un peu assombri. Hector pivota sur lui-même.

- De qui parles-tu? As-tu …vu….Il se tut, gêné. Il n’aimait pas parler de voyance ou de prophétie.

- Mais, non, voyons. Et de toute façon, tu ne me croirais pas, fit la jeune fille en jouant avec son voile. C’était une simple…déduction.

Soulagé, Hector soupira:

- Oui…Même si…Les gens de Mycènes me semblent bien actifs un peu partout sur les terres de l’ouest.

-Viendraient-ils jusqu’ici, sous les murs de Troie? Les murs sont imprenables, dit-on. Et puis, il faudrait qu’ils arment une flotte entière, et avant cela, ajouta-t’elle sur un ton presque enfantin, ils auraient dû rallier d’autres royaumes à leur cause…L’union fait la force, non? Bah, je n’ai pas entendu dire que ces gens-là étaient très populaires.

Hector considéra sa sœur. Elle lui paraissait si jeune, encore.

- Tu as raison. Ils ne sont pas aimés. Leur chef, Agamemnon, est un roi cruel et sans pitié. Les cités qu’il a conquises doivent se plier à ses exigences. Les peuples sont soumis de force. Les gens souffrent. Il y a des violences…Hector s’interrompit. Pourquoi racontait-il les horreurs inhérentes aux guerres? C’était déplacé.

- Oui, mon frère. Les guerriers meurent au combat mais les éleveurs, les fermiers, les petites gens crèvent de faim. Leurs familles aussi, les femmes, les enfants, emmenés en esclavage… Quand ils ne sont pas massacrés ou pillés, ou …

Le grand Hector cria, horrifié d’entendre ces propos venant de la bouche de sa jeune sœur, une femme, une princesse!

- Cassandre, tais-toi! Ne parle pas de ces …choses! Que sais-tu de ces atrocités?

La jeune fille le fixa droit dans les yeux. Il se sentit pris de vertige. Comme si une ombre passait sur son âme. Un voile sombre. L’aile de la destinée.

Puis le soleil revint sur le monde. Sur les remparts illuminés de Troie. Sur les traits réguliers d’Hector.

- Veux-tu que je te parle de…ton cœur, mon frère? De ton futur mariage? Reprit doucement Cassandre.

- Je ne sais pas. Mais au fond de lui, Hector, le dresseur de chevaux, le combattant, le prince, le héros, se dit qu’une jeune femme devait en savoir plus que lui sur ce sujet. C’était une conversation de femmes.

Après tout, elle était sa sœur. Et personne ne les écoutait. Il pouvait se lancer. Nul ne se moquerait de lui. Son honneur serait sauf.

- Alors, mon frère, quels sont tes doutes, car tu as des doutes, je le sais, je le sens…

- Je…Oui, c’est à propos de ma future épouse, Andromaque. Je me demande…Oh, Sandra, fit-il, reprenant le nom d’enfant de la jeune fille, je n’ai pas envie de me marier, voilà tout! Je ne la connais pas! C’est une princesse étrangère!

Cassandre eut un léger sourire mais se reprit. Il ne fallait pas qu’elle méprise son grand frère un seul instant. Ou même qu’elle en ait l’air. Il se serait aussitôt senti piqué dans sa fierté et s’en irait, vexé.

- Ecoute-toi, grand nigaud! « Une princesse étrangère »! On dirait que tu vas épouser l’une de ces filles hittites ou je ne sais pas, moi, égyptiennes! Andromaque est la fille du roi Eétion. Elle ne vient pas du bout de la terre, elle a toujours vécu au palais de la petite Thèbes.

- Oui, je sais, mais elle est jeune…

- C’est notre lot, à nous, femmes, de nous marier jeunes, récita Cassandre, bien sagement. Pour donner de beaux enfants sains et vigoureux à nos maris. Andromaque doit être un peu plus âgée que moi, à peu près.

Hector prit un air atterré. Voilà une idée qui ne le rassurait pas du tout.

- Voyons, mon frère. Andromaque est sûrement plus craintive que toi, en ce moment. Elle a entendu parler de toi mais ignore si tu es un homme bon ou …je ne sais pas, moi, une grande brute!

- Moi? Une brute? Fit Hector, interloqué. Quelle idée!

Cassandre se mit à rire.

- Et oui! Le fils de Priam, le guerrier! Le grand héros! Il y a de quoi être impressionnée!

- Je…Je n’avais pas envisagé la question sous cet angle.

- C’est normal, mon frère, tu es un homme. Tout est facile, pour vous. Il y avait une pointe d’amertume dans ses paroles. Quelque chose de presque douloureux.

Pour la première fois, Hector vit que sa sœur avait grandi. Qu’elle n’était plus une petite fille.

- Mais, non, ce n’est pas facile, dit-il à voix basse. Ce n’est pas facile d’être le fils du roi. Ni d’être un guerrier. Ce n’est pas facile d’être à la hauteur tout le temps. Non, ce n’est pas facile.

Cassandre se rapprocha pour mieux l’entendre. Elle connaissait le cœur de son grand frère.

- Ah, et avec les chevaux, ce n’est pas facile, non plus?

Un sourire amusé se dessina sur le visage un peu sévère du fils de Priam.

- Si, ça, c’est aisé. Ce sont des animaux qui me comprennent.

- Pas comme les femmes? Glissa Cassandre, malicieuse.

- Ma sœur! Les femmes ne sont pas des animaux, voyons! asséna-t’il sur un ton choqué.

- Non, mais elles ont besoin d’être apprivoisées.

Le grand homme brun la dévisagea un instant, cherchant à percer le sens de ses mots. Puis il éclata d’un rire franc.

- Bien dit! Je m’en souviendrai! Son rire s’éteignit et son regard clair se fit un peu vague. Oui, je m’en souviendrai. Quand je serai avec Andromaque. Ma femme.

 

 

photo:Eric Bana dans "Troie"

 

Texte: Leya  @ 2012

 



06/04/2012
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