A.Aleya

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« Fée pas ci, fée pas ça…. » - Rengaine fée

« Fée pas ci, fée pas ça…. » 

Non loin d’ici, de l’autre côté de la pluie, là où parfois se perdent les magiciens et quelques rêveurs, il est une contrée où résident les fées. Par-delà les terres, les rivières et les pierres, il nous arrive de la traverser par mégarde ou de la frôler sans savoir, en un clin d’œil.

C’est un lieu qui pourrait nous effrayer si nous pouvions le voir à l’éveil. Il nous paraîtrait sauvage, emmêlé et échevelé, sans queue, ni tête, ni sens, ni règles, ni lois. Mais c’est ainsi que le peuple fée désire le montrer.

Car il n’en est rien.

 

Au contraire, la société sidhe (=shee) est parfaitement structurée de même que l’est son univers.

 

Pensez-vous que la contrée des fées est un ensemble de joyeux vallons où s’ébattent telles d’anciennes nymphes de jolies dames voletantes au gré du vent ? Un parterre de marguerites géantes où s’agitent en chantonnant de petites créatures insouciantes vêtues de jupettes de feuilles chevauchant des chenilles ? Que nenni. Les contes de fées sont comme les êtres qui les peuplent : trompeurs. La réalité fabuleuse est bien opposée.

Le pays est sillonné par des voies fées — qui sont, je le conçois, fort différentes des nôtres — reliant les innombrables cantons-fées à l’intérieur desquels sont établis les bourgs des fées. Nous ne deviserons pas de la politique fée qui, bien sûr, dépasse complètement notre compréhension de mortels et pourrait nous sembler quelque peu fantasque. Mais elle ne l’est pas.

Vous avez tous entendu parler du fameux roi sidhe , Obéron ? Et de la souveraine Titania ? De Robin « Puck » Goodfellow ? L’ami Shakespeare s’est fait le porte-parole de leurs aventures il y a longtemps. Mais ce que l’histoire ne raconte pas, ce sont les manières révolutionnaires et totalement modernes de ces deux souverains ! Ils mirent en place un système fort habile pour réguler les débordements de leurs voisins ; oui, nous autres, les humains. Obéron fut le premier à organiser la vie enchantée. Point de goûters sur l’herbe, de chants et de rondes amusantes en tenues légères lors des soirées d’été. Balivernes ! Au travail, les fées ! Depuis la nuit des temps, le peuple sidhe œuvre dans l’ombre afin de réparer les erreurs et les errances des mortels. Chaque région fée a sa spécialité et son domaine d’expertise. On en compte de considérables… ainsi, à Illusions-Perdues, on peut croiser les fadettes organisant la récolte des cauchemars et des somnambules hagards ; à Ambreville, on rapièce les trames des histoires ; à Fillory, on console les petits enfants égarés par hasard avant de les ramener ;  à Techno-sidhe, on répare  les pannes dues aux interventions malignes. Les Techno-fées sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses depuis le développement de l’électricité puis d’internet. Il y en a encore des centaines, les fées responsables de la nourriture à Chouville, des animaux disparus et des créatures fantasmagoriques à TaDzoa, des bizarreries climatiques à SolyNube. On ne peut tout citer sans en perdre la raison ; aussi n’essaierais-je pas. L’histoire que je vais vous rapporter est, par contre, imaginairement réelle : 

 

Ce jour-là, les fées des lettres agitaient dans tous les sens leurs longues ailes couvertes de papier. Les Lettra-fées ont toujours été chargées de tenir les registres linguistiques ; elles ont la responsabilité des termes.

Ces êtres étaient de grandes dames aux robes faites de texte bruissant et de grands messieurs aux habits en papier journal. Ils arboraient fièrement leurs messages en différents alphabets et parlaient de façon calme et posée, dissertant sur la prose ou la signification de tel nom dans tel dialecte humain — ou non-humain.

Pourtant rien n’allait plus. Les fées des mots, plus courtes et plus expansives, se déplaçaient entre les édifices, portant des monceaux de dictionnaires, s’interpellant à tue-tête — et le diable sait que les fadettes peuvent avoir de petites voix fort aigües….

Finalement, l’une entre elles atterrit au beau milieu de la Place Centrale et cria de toutes ses forces :

— Ce n’est plus possible ! Il faut les arrêter !

Aussitôt, dames et sieurs sidhe interrompirent leurs conversations et se massèrent avec grâce autour d’elle :

— Et bien, fée-mot, que t’arrive-t-il ?

 

La petite déploya ses ailes qui se teintèrent d’un vert brillant de rage :

— Ils se moquent de mon mot ! Moi, Nénufar-fée !

Un « ooooh » s’éleva de la foule attroupée. Les sourcils argentés des sieurs se froncèrent. Leurs beaux yeux en amande se noircirent de courroux.

— Les… humains ? Comment osent-ils ?

Un jeune garçon-fée, qui avait toujours l’air étonné, s’avança à son tour, triturant son couvre-chef entre ses mains fines. L’assemblée le dévisagea avec une stupéfaction sans pareil. Le sire fée qui avait déjà pris la parole avec irritation lui demanda :

— Pourquoi, Sire Conflexe, as-tu ôté le symbole de ta charge ? Veux-tu bien le replacer!

Le garçon-fée se tassa encore un peu plus sur lui-même :

— Il paraît, Messire Dyko, que je n’ai plus d’utilité… je ne peux pas…

À nouveau, l’indignation retentit. Messire Dyko leva la main et fit taire les autres. Il effectua un signe à sa voisine, une dame voilée de papier transparent qui, doucement, s’avança à ses côtés :

— Je vais laisser la parole à notre Très Sage Dame Lingua, voulez-vous, ma dame ?

L’assemblée garda le silence, car Dame Lingua était une sorte de légende parmi les créatures. On disait que c’était elle qui avait établi tous les idiomes du monde humain et non humain, qu’elle avait participé au sauvetage de la tour de Babel afin d’en rapporter la richesse des dialectes.

Sa voix était calme et douce quand elle parla :

— Tout ceci n’est que du vent, ô collègues. Nos partenaires Techno-fées m’ont fait part de ces rumeurs concernant une langue humaine, en particulier. Ne vous inquiétez pas, fée Nénufar et toi Sire Conflexe. Vous avez toujours votre place. Nos partenaires Techno-sidhe règlent ce désagrément bien humain….Vous les connaissez. Ils se prennent pour le centre du monde, s’agitent sans penser, oublient aussitôt et recommencent peu après.

Tous se mirent à rire. L’atmosphère se détendit. Les yeux noircis de colère regagnèrent leurs couleurs d’or et d’argent, d’ambre et de pourpre.

— En effet, vous savez les emballements et les faiblesses des mortels… Peu de réflexion, beaucoup d’affolement. Ah, si nous s devions écouter ceux qui crient et qui ragent, les incultes humains en seraient encore à tailler des silex ou à s’exprimer en grommelant des sons disgracieux. Et leur pauvre mémoire qui ne peut rien retenir. Il ne faut pas leur en tenir rigueur, puisqu’ils sont ainsi faits. Calmez-vous, ô fées, car comme le disait notre ami le poète William qui séjourna parmi nous : « tout ceci est beaucoup de bruit pour rien. » (Much Ado About Nothing). 




06/02/2017
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