A.Aleya

A.Aleya

L'enfant coléreux

 

L'homme faisait les cent pas, triturant sa barbe d'un roux sombre émaillée de gris. Finalement, il se tourna vers son invité et s'écria: 

- Est-il possible, est-il concevable que mon héritier reste seul, privé des soins de sa mère, je te le demande, toi qui me connais depuis si longtemps, toi que je peux appeler « ami », malgré la différence de nos natures, dis-le moi? Quelle folie a donc saisi ma femme...?

- Je t'entends, roi de Thessalie. L'enfant aux cheveux roux ne peut rester ici si tu penses que sa mère l'a déjà mis en danger. Crois-tu qu'elle l'a plongé dans le feu sous l'emprise de la folie?

- Écoute-moi bien, noble Chiron. J'étais caché derrière les tentures, dans l'appartement des femmes car je craignais pour mon épouse...quelques jours après la naissance de mon fils...- Le roi eut un mouvement d'épaules - Oui, j'avoue, j'ai tremblé. Ma femme, si vaillante, avait mis au monde un beau garçon mais qu'allait-il se passer? Ses jours n'étaient-ils pas en danger? Tant de nos petits meurent soudainement, d'une fièvre ou d'un mal inconnu, ou pire, d'un coup de dague ennemi! Même si c'est la volonté des dieux, je voulais que ce fils vive. J'avais posté des gardes prêtes à intervenir. Pourtant, je voulais être sûr de la sécurité des miens en me cachant près d'elle, près d'eux. - Le roi soupira à nouveau - Et que vois-je, cette nuit funeste? Mon épouse préparant un brasier et ....- le roi se couvrit les yeux de ses deux mains - plongeant notre petit garçon, encore un bébé, dans le feu, tenu par le talon! J'ai bondi, je l'ai arraché aux mains meurtrières...Quelle horreur...

Le centaure assis aux pieds du roi hocha la tête. Il connaissait l'histoire mais ne l'avait pas entendu de la bouche de son ami humain. Il pencha la tête et de sa voix grave et sage, fit: 
- Qu'a dit ta femme pour sa défense?
- Oh, des sornettes! Elle voulait, par ce biais, le rendre immortel! -Le roi éclata d'un rire sans joie. - C'est bien une idée de femme sans cœur. Jamais je n'aurais cru cela d'elle! Et quand j'ai crié et tempêté, elle m'a regardé de haut puis a décrété que ne comprenais rien, moi, Pélée de Thessalie!

Chiron intervint, tâchant de modérer ses propos:
- Thétis est une fille de l'Océan, elle est princesse des vagues....
- Et elle s'est enfuie, me laissant mon fils. Une mère qui abandonne son enfant, crois-tu cela, mon ami?
Le centaure croisa ses jambes chevalines antérieures et prit un air réfléchi:
- Que vas-tu faire? Je suppose que le tout petit est confié à une nourrice?
Le roi de Thessalie haussa les épaules, fataliste:
- Bien entendu, mais l'enfant va grandir et je veux pour lui la meilleure éducation.
Les yeux du centaure brillèrent.
- Ainsi nous en venons à la raison de ton appel, mon royal ami.
- Je ne peux rien te cacher. J'aimerais que tu élèves mon fils, non pas au palais trop exposé,  mais là où tu vis. Que tu lui apprennes ce que tu sais, dans un endroit - le roi eut un large geste circulaire - moins confiné que celui-ci. Fais-en ..
- Un centaure, mon roi?

Pélée fronça les sourcils puis se mit à rire:

- Presque! Donne-lui ta sagesse, mais ta rapidité aussi. Apprends lui à vivre au-dehors, je ne veux pas qu'il soit un petit bon à rien.
- Tu sais qu'il devra côtoyer les bêtes sauvages, qu'il vivra rudement? Est-ce cela que tu veux pour ton fils, roi Pélée?
- Et bien...oui. Qu'il apprenne. Plus tard, quand il aura l'âge de sept ans, alors, il reviendra du Mont Pélion.

Le centaure se leva souplement à la suite du roi.
- S'il survit..., dit-il à voix basse mais le roi l'avait entendu.Il se retourna prestement:
- Il le doit! Fais attention! Ce petit est mon fils! Veille sur lui, centaure!

Chiron se rembrunit:
- Ne me menace pas, Pélée...Je ne suis pas l'un de tes courtisans.

Comprenant rapidement son erreur, le roi se radoucit. Il passa ses doigts dans sa barbe aux reflets fauves.

- Ne gâchons pas notre amitié, tu as raison. Ah, mon ami, cet enfançon me rend fou!
Il est le plus doux et le plus charmant des fils, et , soudain, son regard paraît s'enflammer, son esprit est alors capturé par je ne sais quelle colère inconnue. Il se met à hurler et à tonner, plus fort que Zeus s'il le pouvait, je te le jure, ami!
- Que veux-tu dire? Crois-tu que ce soit le traitement de sa mère qui...?
- Je ne sais. J'espère qu'il s'agit juste de colères d'enfants...
- Effectivement, les petits sont sujets à des hurlements et des vagissements, c'est naturel. Ton fils est sûrement vigoureux!

Pélée fit signe au grand centaure de le suivre.
- Puisses-tu avoir raison, sage Chiron! Cet enfant est fait de douceur et de flamme, comme son regard est tendre et ses cheveux de flamme.
- J'ai hâte de la voir.
- Viens, viens mon ami, viens faire la connaissance de mon fils Achille.

 

Lors des années qui suivirent, le grand Chiron ne ménagea pas le jeune Achille qui grandit avec lui sur les flancs du mont Pélion. Il lui enseigna ses méthodes de guérison mais aussi la musique. Il lui apprit à courir et fut surpris de voir les aptitudes d'un si jeune enfant.

Habitué à la vie rude, le petit Achille se nourrissait de viande crue. Le centaure pensait qu'il avait parfois des manières de fauves. Et cela l'inquiétait malgré tout.

Le garçon savait se montrer adorable, enjôleur, rusé, intelligent, mais parfois, il s'entêtait et s'enferrait dans le mensonge et les caprices. Rien ne pouvait l'amadouer. Il s'enfonçait alors dans les bois, seul et sa rage éclatait, à l'instar d'un animal blessé. Chiron se montrait inflexible. Mais face à la colère d'Achille, il ne n'était pas de taille.

Personne ne l'était.

Personne ne le serait.

Personne ne pouvait rien face à la colère d'Achille. Et les années passaient.

 

Leya @ 2012/2017

 



02/04/2012
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