A.Aleya

A.Aleya

Une future troyenne

 

Je me tiens là, dans le palais de mon père.

Et je sais que mes années d’innocence sont à présent derrière moi.

J’ai beau chercher un moyen, j’ai beau espérer; il me faut m’en remettre à la Destinée. Les Dieux en décideront pour moi.

Mon père a conclu une alliance.

Pour le royaume de Cilicie, il s’agit d’une occasion à ne pas manquer. Peut-être la meilleure.

 

Je me tiens là et où que mes yeux se tournent, je vois les paysages de mon enfance.

Par delà le mont Ida,  le soleil d’été darde des rayons sans pitié. Ce paysage de collines où, parfois, en cachette, avec mes frères, j’allais me promener sur le dos des petits chevaux croisés avec les superbes montures des Hittites.

Etant fille et princesse, je n'avais pas le droit de cavaler dans les buissons et les sentes. Ni celui d'apprendre à me servir d'un arc.

Enfants turbulents, nous ne pensions pas alors être des descendants d’une lignée royale. Je sais ce qu'on a dit de moi, que je me conduisais comme un vaurien, non comme une future  princesse. Ou d'une reine, peut-être.  

 

Les alentours n’ont pas changé.

Mais l’horizon, pour moi, a pris une autre tournure, que les dieux m’en soient témoins!

Je pensais naïvement que je pourrais peut-être devenir une prêtresse. Me consacrer aux devoirs du temple. Servir Athéna.

Le sort en a décidé autrement.

Mon seul devoir sera celui d’une épouse et sûrement celui d’une mère.

 

Je serre les mâchoires car, même si je ne veux pas le montrer, oui, j’ai peur.

Je sais bien que nous autres filles devons nous marier. Je sais bien que notre destin est de porter des enfants. Notre nature est ainsi faite. Nous ne sommes pas celles qui allons prendre les armes même si j’ai bien entendu que certaines femmes se regroupaient pour vivre ensemble et devenir de véritables guerrières impitoyables.

Mais je ne suis pas l’une de ces amazones.

Même si mon prénom pourrait indiquer le contraire.

Même si en secret, finalement...

J’ai un devoir envers les Dieux, ma lignée.

 

Je l’ai toujours pressenti. Pourtant, je ne tiens pas à mentionner ces brusques éclairs entrevus. D’aucuns pourraient croire que je me prends pour une devineresse.

J’ai vu quelles épreuves enduraient les voyants et les devins. Si, de surcroît, il s’agit d’une femme, alors, je préfère taire à jamais ces fantaisies qui m’apparaissent parfois. C’est si diffus dans ma tête. Sûrement quelque chimère de jeune fille qui ne veut pas accepter la vie qui s'avance vers elle.

Ah, oui, j'aimerais parfois m'enfuir!

 

Je me tiens là et j’attends.

Ma vie de femme commencera bientôt.

Un homme m’attend, paraît-il. Un Troyen.

C’est un fils de roi, un grand guerrier, un homme bon et généreux.

Un homme casqué qui élève des chevaux. Ainsi va sa réputation.

C’est ce qu’on m’a dit.

Je ne sais pas ce qui est vrai.

Je ne sais pas si on a voulu insulter mon intelligence en me racontant des mensonges.

Je ne l’ai encore jamais vu.

 

Je dois quitter le palais de mon père. La ville de Thèbe sous le Placos , mes sept frères et ma mère.

Demain.

Le vent du soir apporte les odeurs de la colline.

Qu’en sera-t’il, là-bas? Aurais-je le droit de me promener sur les murailles de cette fabuleuse cité? Là-bas, à Troie.

Mon frère aîné dit que tout y est imposant. Merveilleux. Il dit que j’ai de la chance.

Que le roi est fort et la reine, très perspicace.

Mais j’ai aussi entendu que les nombreux enfants du roi Priam étaient nés de ses concubines. J’ignore si ce sont des rumeurs.

On raconte également que la reine Hécube aurait des talents de magicienne. On dit aussi qu'elle est responsable de nombreux empoisonnements.

Et que deux de ses enfants sont des devins étranges.

O dieux, déesses, dans quelle famille vais-je tomber?

Je n’ai jamais eu l’habitude d’être une princesse qu’on regarde, parée de bijoux et de dorures.

Ici, nous vivons sobrement.

Personne ne m’a jamais fait remarquer que j’étais une beauté, avec mes yeux perçants, d'un vert qui dérange, dit-on, et mes cheveux d'un châtain ordinaire. Je suis de taille moyenne et je n’ai pas de formes très généreuses. Je suis même un peu anguleuse.

Hector ne va-t’il pas trouver son épouse un peu fade?

Après tout, je ne connais rien des artifices qui plaisent aux hommes.

Et puis, je n’y peux rien, je me contenterais d’être honnête!

 

 

Je me tiens là.

Je ne sais si je reverrais ce palais.

Ni mes frères, ni ma mère.

L’air est plus frais, ce soir.

Un frisson me saisit.

Je dois rentrer.

C’est impalpable.

Je sens que ma vie va changer.

Que le bonheur sera extrême.

Et que le malheur aussi.

Les nuées se rassemblent. Implacables.

Mais j’ignore pourquoi cette vision me fait trembler.

Je l’ignore mais j’ai très froid.

 

J’ai seize ans et je m’appelle Andromaque.

 

 

Leya @ 2012

 

 

 



09/03/2012
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