A.Aleya

A.Aleya

Une rencontre annoncée

- Quelques années plus tôt qu' "Une future troyenne". -

 

*

 

 

 

Dans les ruelles de la ville basse, Komaithô courait. Elle se faufilait parmi les artisans, les acheteurs, les étals des marchands. De toutes ses jambes, elle courait, sa chevelure rousse et bouclée flottant sur ses épaules. Elle allait vite, aussi vite qu’elle pouvait. Escaladant la rue pavée, elle se dirigeait droit vers le temple d’Apollon. Un instant, elle s’arrêta. Il était tôt dans la journée. Komaithô n’avait aucune envie d’aider sa mère et ses sœurs à filer. Elle s’était glissée subrepticement hors du domicile. Les rues étaient encombrées. La ville se remplissait de senteurs et de couleurs. De gens et d’animaux de bât. De cris, d’interpellations, de rires, d’injures.

De vie.

Komaithô était fière d’appartenir à cette cité, un lieu de rencontre des populations de l’Est et de l’Ouest. Une cité aux immenses remparts. Sa famille y avait trouvé protection et travail. Sa mère exerçait le métier de fileuse, tandis que son père tenait l’échoppe et commerçait avec des visiteurs du monde entier, disait-il. Ils n’étaient pas riches mais, comme beaucoup d’entre eux, petits marchands et artisans qui pullulaient à Troie, ils ne connaissaient ni la faim, ni les misères des guerres incessantes.

Sous le soleil qui montait lentement, Troie se déployait, splendide.

Elle tâcha d’épousseter sa tunique d’enfant, de mettre de l’ordre dans ses cheveux emmêlés. Pour une fois, elle voulait voir seule cette merveille : le temple d’Apollon Thymbréen.

Un moment, elle hésita avant d’entrer, impressionnée par la solennité du lieu. Le dieu n’allait-il pas se fâcher ? Elle n’avait apporté aucune offrande.

Indécise, elle resta à se balancer d’un pied sur l’autre. Elle commençait vraiment à avoir chaud. Un bruit lui fit tourner la tête. Des rires ? Des rires et des cris d’enfants !

Intriguée, elle s’avança dans la pénombre rafraîchissante. Non loin d’elle, deux enfants de son âge se poursuivaient. Elle n’en croyait pas ses yeux. Ils jouaient ! Ici, dans le temple ? Komaithô les regarda alors plus attentivement. Il s’agissait d’un garçon et d’une fille du même âge qui se ressemblaient étrangement. De beaux cheveux d’un brun foncé ondulaient souplement dans leur cou. Leurs tuniques paraissaient très propres et tous les deux portaient de légères sandales ouvragées. Ces enfants appartenaient sûrement à une riche famille de la ville.

Komaithô recula. Elle fit plusieurs pas en arrière. Soudain, un rire en cascade lui parvint. Tout proche d’elle.

Pourquoi tu restes là ? Viens jouer !

Une petite fille brune la dévisageait avec de grands yeux sombres. Son visage en forme de cœur était illuminé par un sourire adorable. Même dans la douce pénombre, Komaithô voyait que la peau de la fillette n’était pas brune comme la sienne mais d’un blanc presque laiteux. Elle tira sur sa tunique, tâchant de recouvrir ses jambes nues.

Viens, reprit la fille. Mon frère fera semblant de nous attraper ! Il dit qu’il est un grand chef Achéen et qu’il va m’emporter comme sa prisonnière. C’est amusant !

Komaithô ne savait pas de quoi la fillette voulait parler mais le mot « prisonnière » la fit sursauter.

Je n’aime pas ça, moi. Ce n’est pas drôle, ton jeu !

Pourquoi ? C’est juste un jeu … Viens, moi, je n’ai que mon frère pour jouer et puis, c’est un garçon….Toutes mes sœurs sont plus âgées que moi. Certaines vont même se marier.

Moi, mes sœurs travaillent avec ma mère. Et mon frère aide mon père. Mais il dit qu’il voudrait faire le soldat….

Ah, c’est bien une idée de garçon ! Mes frères sont de grands guerriers. Enfin, pas lui, dit-elle avec une légère ironie, en désignant le garçonnet brun qui venait vers elles.

Komaithô remarqua la ressemblance frappante avec la petite fille. Ils avaient des traits fins, la peau pâle. En fait, ils étaient très beaux, tous les deux. Komaithô eut honte de son aspect.

Alexandra, avec qui parles-tu ? Puis avisant son interlocutrice, il reprit, amusé :– Tiens, bonjour rouquine !

Komaithô rougit et se sentit bouillir de colère; ce vilain fils de noble allait apprendre à qui il s’adressait, l’insolent !

Tu ne t’es pas regardé, gringalet !

Le garçon ouvrit écarquilla les yeux, stupéfait. Puis il éclata de rire.

Ah, ça ! Je ne m’y attendais pas ! J’aime bien les personnes qui ne se laissent pas faire.

Sois aimable avec mon amie….heu…comment t’appelles-tu ?

Komaithô.

Le garçon se mit à pouffer sottement.

Alors là, tes parents ont bien chois ton nom, «la rousse»!

Il allait trop loin.

Et ton nom, c’est vermisseau ? fils de…

Non, non ! Arrêtez! Arrêtez! Cria soudain la petite fille, les yeux soudain affolés.

Komaithô se demanda pourquoi la jolie brune se mettait dans cette état. Elle lançait ce genre de répliques régulièrement, dans les rues de Troie.

C’est bon, Sandra, n’aie pas peur ! Dit alors le garçon, protecteur. Ça va ller ?

Elle hocha la tête, l’air égaré, comme si elle avait vu un monstre.

Je te prie de m’excuser, je me suis conduit de façon indigne, dit alors le garçon à Komaithô, très digne en inclinant la tête.

Il parlait très bien, avec un accent qui ne venait pas des faubourgs de la ville et employait un vocabulaire d’adulte. Elle en fut très impressionnée.

C’est pas grave, hein. Puis regardant la fillette : – Tu vas bien ?

La petite fille haussa les épaules et marmonna un « oui ».

Ma sœur est très sensible. Surtout depuis que nous avons été touchés tous les deux par la fièvre, il y a quelques années. Il ne faut pas lui faire peur, c’est tout. Ici, nous sommes protégés.

La fillette brune releva la tête. Ses yeux brillaient de larmes. Komaithô en fut surprise.

Pourquoi tu es triste ? Tu as encore la trouille ?

La fillette secoua la tête. Elle avait encore une mine farouche.

C’est juste que… Tu vas t’en aller. Et je n’aurais personne pour jouer. En plus, je fais peur aux autres, aux adultes.

Komaithô ne comprenait pas grand-chose. Elle trouvait la fillette sympathique même si elle semblait un peu timorée mais peut-être était-ce le cas chez les enfants des riches.

Ma sœur et moi, nous sommes jumeaux. Et nous ne sommes plus exactement comme les autres, depuis le jour où nous avons eu la fièvre, dont je te parlais.

Allez, encore cette histoire ! Mais Komaithô voulut savoir.

C’est quoi, « pas comme les autres » ?

Elle vit que le garçon était gêné.

Bah… Je ne préfère pas en parler.

Oh… C’est un Grand Secret ? Fit-elle, très enfantine. On peut le dire qu’aux Dieux ?

Le garçon rit. Mais pas la fillette qui baissa la tête.

Nos parents aimeraient que ça en soit un, de secret !

Non, c’est parce qu’ils ont honte, chuchota-t’elle. Surtout de ce que je raconte.

Mais non, dis pas ça, Sandra. Un roi et une reine n’ont jamais honte de leurs enfants, voyons !

Quoi ? Glapit Komaithô. Quel roi ? Quelle reine ?

Elle était sur le point de détaler. La petite fille la retint doucement par le bras.

Non, attends. Puis à son frère : – Gros malin, tu avais bien besoin de parler de ça ! Elle ne voudra plus jamais revenir jouer avec moi, cette fois.

Cette fois, Komaithô les examina un peu mieux.

Je vois que… vous êtes…

L’angoisse montait en elle.

Tu vois ! Ça y est ! Elle ne veut plus ! s’inquiétait la petite.

Mais non ! La rassura Komaithô. Je me fiche de savoir si vous êtes les enfants du roi Priam en personne, moi ! Je peux venir jouer si je veux !

Un silence s’installa. La fillette osa :

Pour de vrai ? Avec moi ?

Komaithô reprit à voix basse :

Oui. Mais vous n’êtes pas …un prince et une princesse, quand même ?

Mais le garçon soupira.

Si, Mon père est bien le roi Priam et ma mère est la reine Hécube. Je suis Hélénos, désolé de ne pas m’être présenté. Quant à ma sœur jumelle, devant toi. on la nomme Alexandra.

Mais en général, tout le monde m’appelle Cassandre, compléta sereinement la petite.

Le soleil montait et le temps passait. Komaithô pensa que sa mère devait la chercher partout.

Je dois y aller. Ma mère m’attend, je dois aider au filage, tu sais.

Ah ? Tu travailles ? c’est dur ?

Elle n’osa pas avouer qu’elle n’aimait pas cela.

C’est notre savoir-faire, notre gagne-pain, à ma mère, mes sœurs, et puis, un jour, aussi à moi.

Komaithô baissa la tête. Elle était fière de l’habileté de sa famille mais son avenir en tant que fileuse lui parut soudain très incertain. Elle aurait aimé devenir quelqu’un d’autre. Cette princesse avait bien de la chance. Elle sentit une petite main dans la sienne.

Tranquillise-toi. Nous nous reverrons, je le sais. Et un jour, tu seras au palais, avec moi.

Komaithô réprima un rire. La fillette prenait ses rêves pour des réalités. Des enfants pas comme les autres, ça oui…

Non, pas au palais, ce n’est pas pour moi.

Hélénos dit d’une voix étrange :

Personne ne croit ma sœur. Mais écoute-la. Tu devrais vraiment. J’ai confiance en elle. Et peut-être viendras-tu au palais, un jour, je ne sais pas, travailler ou …

Non. Elle sera avec moi, dit fermement la petite Cassandre. Et le palais sera rouge. Et partout nous aurons du tonnerre. Un grand bruit. Heureusement, tu verras, elle t’aidera.

Ses yeux bruns étrangement fixes ne cillaient pas. Komaithô ôta sa main de celle de l’enfant. Le garçon prit sa sa sœur par les épaules.

Allons, Sandra, nous allons rentrer nous aussi. Ne te fatigue pas. A bientôt, la rousse !

Leurs regards se croisèrent. Une certitude flotta dans l’air.

Nous nous reverrons, dit la fillette. C’est une promesse.

Oui, Cassandre, je te le promets, murmura Komaithô, impressionnée malgré elle.

Elle ne savait pas ce qui venait d’arriver.

 

 

 

 2022 -- Leya 

 

 

 

 

 

 



27/03/2012
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